Historique de la rose

ROSE ABSOLUE

Selon les chroniques anciennes, les premières roses ont été importées de Thrace par les garnisons d’Alexandre le Grand. La vraie histoire de la rose bulgare, toutefois, commence bien plus tard. La légende dit qu’à la fin du 16e siècle, un magistrat turc apporte de Tunisie une rose originaire de la région de Kashan, en Perse. Il cultive la plante dans les jardins de sa propriété près de la ville de Kazanlak, dans le nord de la Thrace et lui donne le nom de Rosa Damascena en hommage à la ville de Damas, dont il avait pu goûter les charmes lors de son voyage entre l’Afrique du nord et l’Europe orientale. Impressionnée par la beauté de ces jardins, le sultan Mourad III ordonne au juge, le 25 février 1593 très exactement, de développer la culture de la rose pour les besoins du palais. C’est à partir de cette époque qu’apparaissent les champs qui forment aujourd’hui la Vallée des roses, située au cœur du pays, entre les villes de Kalofer, Karlovo et Kazanlak.

Au départ, les fleurs de roses sont destinées à la production de l’eau de rose pour l’Empire ottoman et les pays arabes. Les méthodes de production et le matériel de distillation – des alambics de cuivres d’une capacité de 80 à 120 litres – sont importés de Perse et de Tunisie. Au bout de plusieurs décennies d’apprentissage, les horticulteurs bulgares découvrent une nouvelle substance plus concentrée: l’essence de rose. Afin d’obtenir une fragrance de meilleure qualité, on commence à pratiquer des distillations multiples. Un mélange de fleurs et d’eau (40 à 50 litres d’eau pour 10 kilogrammes de fleurs) est distillé pour produire un premier substrat à nouveau distillé puis mélangé, non plus avec de l’eau mais avec une autre matière distillée. On arrive ainsi à la Rose Absolue, substance crémeuse et dense d’un arôme exceptionnel.

La production de l’essence prend son envol à la fin du 17e siècle alors même que l’industrie du parfum se développe en Europe occidentale. Rapidement, l’essence de rose devient un produit très recherché. Les producteurs bulgares délaissent l’eau de rose et les marchés de Constantinople et du Proche Orient pour se tourner vers Vienne, Paris et Francfort. Avec la fin de la domination turque, la production de l’essence de rose atteint son apogée – 5346 kilogrammes en 1900 – et devient la première industrie du pays. La Bulgarie est alors le plus grand producteur et exportateur d’essence de rose dans le monde.

ROSE CONCRETE

Amorcé par un juge turc, le fabuleux destin de la rose bulgare est également lié, dans sa phase industrielle, aux prouesses d’ingénieurs français. La première distillerie à vapeur est construite près de Karlovo par le Français Pierre Chier et le Bulgare Slavi Mitov. Avec ses quatre alambics d’une capacité de 2500 litres chacun, elle révolutionne les méthodes de production. Un autre Français, le cannois Charles Gamier apporte en Bulgarie une technique française qui permet d’extraire une nouvelle essence – la Rose Concrète – avec de l’éther de pétrole. Enfin, en 1904, une compagnie parisienne construit une grande distillerie de roses dans le village de Kournaré. L’usine, édifiée par un certain Monsieur Verley, arrive en tête de la production d’essence de rose sur les cent dernières années. Elle continue de susciter l’admiration des Bulgares.

Le début du 20e siècle fut la période faste de l’essence de rose: avancées de la recherche scientifique sur les huiles essentielles, organisation du premier festival national de la rose en 1903, première conférence sur l’industrie de la rose en Bulgarie trois ans plus tard. A la veille de la première guerre mondiale, l’industrie de la rose monopolise plus 8.000 hectares de terres arables et emploie 200.000 salariés. Après les bouleversements de la Première Guerre mondiale, l’Etat décide de promouvoir officiellement l’industrie de la rose. La production et le commerce sont placés sous le contrôle du gouvernement qui garantit la qualité de l’essence. Des plans de soutien sont mis en place pour encourager le développement et la diversification des distilleries. La Vallée des roses se lance avec succès dans la production d’essence de lavande et de menthe. La deuxième Guerre mondiale viendra malheureusement porter un coup d’arrêt à cet essor.

Au nom de la rose

Aujourd’hui, les roses sont cultivées sur 1.500 hectares et produisent entre 1.000 et 1.300 kilogrammes par an. Peu de choses par rapport aux 5.346 kilogrammes du début du siècle. Néanmoins, la tradition est perpétrée. Quatre compagnies privées et publiques, issues de Balgarska Rosa, maintiennent l’industrie en vie et cherchent à lui redonner un nouveau souffle, sous la houlette de l’Institut de roses, huiles essentielles et plantes médicinales de Kazanlak, à la fois autorité de contrôle et centre de recherche du secteur. 70 % de la production partent désormais vers l’Europe occidentale ou les Etats-Unis où le kilogramme de Rose Absolue se négocie entre 3.500 et 6.000 $.   En 2000, comme pour annoncer un nouveau départ, 120 hectares de Rosa Damascena ont été plantés dans la Vallée des roses.

LE SECRET DE LA ROSE

La Vallée des roses est la seule région de Bulgarie où l’on puisse cultiver la rose damascène et produire de la rose absolue. Elle bénéficie en effet de conditions climatiques et d’une qualité de sol exceptionnelles.

L’humidité de l’air, le ciel nuageux, ainsi que les pluies peu abondantes mais fréquentes au printemps, sont particulièrement favorables à la culture de la rose damascène. Ces conditions climatiques modérément continentales prolongent la période de floraison et suppriment l’évaporation de l’essence, ce qui accroît le rendement au moment de la distillation. A la différence de sa parente, la rose de Kashan, continuellement exposée à une forte radiation solaire, la rose damascène bulgare se couvre par ailleurs d’un film protecteur de cire très fin. Grâce à cette ruse de la nature, la Rose Absolue contient moins d’acide stéarique (stéaroptene) que les essences de rose communes. Cette faible teneur en stéaroptène est un gage de qualité.

Le « sol de cannelle », mélange de sable, de terreau et de gravier, propre à la Vallée des roses facilite également la culture des plantes. Les producteurs bulgares utilise une méthode originale de préparation des terres, appelée « kesmé ». Le sol est travaillé tout au long de l’année afin de conserver un taux d’humidité convenable pendant l’été et de protéger les racines pendant l’hiver. Les horticulteurs savent aussi ne pas « forcer » leurs roses. Il faut plusieurs années pour que la rose damascène commence à fleurir et plusieurs années encore pour qu’elle puisse produire de l’essence. Dernier secret de la rose bulgare: pour que soit préservée toute la fraîcheur des fleurs et la finesse de leur essence, le cueillette doit se faire à la main, et commencer obligatoirement avant l’aube.

Ces techniques employées depuis plusieurs siècles dans la Vallée des roses ont permis de préserver l’aspect de la plante pratiquement inchangé depuis son introduction au 17e siècle. La nature et l’homme ont fait de la rose damascène bulgare une sorte de rose à part entière, différente des autres par son anatomie et sa physiologie.